Vaia Tuuhia, déléguée générale de l’association 4D, a participé à une rencontre-débat internationale sur l’Économie sociale et solidaire le 23 juin dernier à Paris. Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, a participé à cette rencontre qui avait pour thème : « L’économie des biens communs au service de l’intérêt général ».
Ellinor Ostrom [1], prix Nobel d’économie en 2009, avec Oliver Williamson, pour leur analyse de la gouvernance économique, était invitée en France pour une semaine de conférences. Ce fut l’occasion de revenir sur les travaux de cette professeur de sciences politiques. En ayant été récompensée pour avoir démontré comment les biens communs peuvent être efficacement gérés par des associations d’usagers, Ellinor Ostrom a donné une nouvelle visibilité à cette forme spécifique de propriété et de gouvernance, qui place les décisions collectives des « communautés » au centre du jeu socioéconomique. Elle ravive ainsi une approche alternative aux positions oscillant traditionnellement entre la régulation par le marché ou la régulation étatique et remet considérablement en cause l’idée prédominante selon laquelle la propriété commune est mal gérée et doit être prise en main par les autorités publiques ou le marché »[2].
Les recherches d’Ostrom revendiquent un « retour au réel ». Elle a ainsi observé, des associations d’usagers des services de l’eau à Los Angeles, des activités de la police dans l’Indiana ou des systèmes d’irrigation au Népal. De ces analyses elle conclut que des associations volontaires ou d’autres collectifs d’individus peuvent gérer efficacement et équitablement l’utilisation de ressources communes, en définissant et faisant respecter les règles qu’elles auront établies… d’autant que la régulation étatique ou par le marché peut échouer, notamment parce que les individus ne s’accordent pas toujours sur la finalité de la régulation. Il s’agit aussi de remettre l’humain au centre, rhétorique qui, ici prend effet, puisque la gestion des communs s’appuie sur les interactions humaines, les arrangements décidés entre eux, les résolutions de conflits à l’intérieur de groupes sociaux. Ostrom se distancie de la « rationalité économique », en renverse l’ordre, sans pour autant sacrifier à la recherche d’efficacité.
J’ai assisté à une de ces conférences. Il était question de biens immatériels et internet, d’économie sociale et solidaire… des enseignements des travaux d’Ostrom pour pousser plus loin les réflexions sur l’auto-organisation, les pratiques délibératives et les échelles appropriées des communautés d’usagers, mais aussi d’interroger sur les porosités entre communs et espaces marchands… La Nobel s’est avant tout attachée aux mots, au système du langage pour circonscrire l’analyse. Tout n’est pas bien commun. Et les amalgames détourneraient, volontairement ou non, l’approche par les communs. Le grand apport d’Elinor Ostrom est dans cette distinction entre les « communs considérés comme des ressources » et les « communs considérés comme une forme spécifique de propriété ». Il ne s’agit donc pas de récupérer les principes et de les appliquer à des biens publics, collectifs… les biens ou services publics sont produits par les institutions étatiques (qui peuvent les déléguer au secteur privé) en direction du public et non de tel ou tel utilisateur privé. Il ne s’agit pas non plus d’approche sectorielle par exemple pour l’eau, l’énergie… aussi évidente que puisse être la nécessité d’accès à ces biens essentiels. Il s’agit de prime abord de gouvernance et du rôle des usagers, de l’approche démocratique qui structure un process bottom-up, d’une autre approche institutionnalisée. Les biens communs sont des dons de la nature ou des biens produits, entretenus, partagés entre des usagers regroupés dans une «communauté» qui se donnent des règles collectives et dont la taille et la nature peuvent varier. Ils supposent l’engagement des citoyens et la définition des règles d’usage. Ces communautés, tout en étant autonomes, ne sont pas indépendantes de la société globale. Il va sans dire que les communs dépendent aussi des États. La préservation des communs globaux, l’atmosphère, les océans, la biodiversité ne peut être envisageable sans accords intergouvernementaux qui s’appliquent aussi à ces communautés. C’est pourquoi, les Nations unies sont le lieu irremplaçable pour la définition des communs.[3] Dans la perspective de la conférence Rio+20, et de ses enjeux en termes de gouvernance ou de transition, l’approche par les biens communs s’invite comme un comme un « outil pour penser » une autre approche du développement. En particulier, dans le contexte de crise économique, financière, sociale et environnementale qui nous secoue, les communs démontrent qu’il peut y avoir des alternatives.
Pour autant, le champ est vaste, car ils offrent aussi un cadre réflexif sur nos modes de vie, renvoient aux questions de propriété, d’usage, de partage et de renouvellement des ressources, questions susceptibles d’entamer une transition écologique et sociale[4]. Ils interrogent sur les droits, ouvrent de nouveaux horizons aux grands défis de ce siècle comme la connaissance, l’information, la recherche et les droits de propriété intellectuelle… Le débat sur les communs aux horizons de Rio+20 est aussi porté par certains acteurs, mouvements sociaux, sociétés civiles, états qui tentent de s’opposer à la marchandisation de la nature, sans pour autant s’inscrire dans une revendication de gestion étatique. L’approche par les communs est-elle l’ébauche d’une construction sociale nouvelle formulant scientifiquement la notion de gouvernance collective des ressources naturelles, au Nord comme au Sud, face aux grands enjeux globaux ? Remettre l’humain au centre, croire en ces usagers, jusqu’à la résolution de conflits… L’attribution du Nobel à Ellinor Ostrom pour ces travaux a permis de vulgariser et de mettre en avant une troisième voie. On reconnaitra ce formidable champ d’extension que représentent ces travaux.
Vaia Tuuhia, déléguée générale de l’association 4D
[1] Elinor Ostrom est professeur de sciences politiques à l’Université d’Indiana, créé le Workshop in Political Theory and Policy Analysis. Première femme à recevoir le Prix Nobel d’économie, ses travaux constituent une des principales références pour ceux qui, dans le monde scientifique et politique, construisent leurs discours et leurs actions sur les échecs d’une part de la gestion uniquement étatique et d’autre part de la promotion de la propriété privée comme instrument universel de gestion des ressources et de l’environnement.
[2] Gareth Hardin, « la tragédie des biens communs » (1968) : les ressources communes sont vouées à subir des dégradations compte tenu des comportements individualistes.
[3] Geneviève Azam in note du Collectif RIO+20 Pour une reconnaissance des biens communs